Quelles sont les modifications introduites par la réforme par rapport aux obligations actuelles de financement par les entreprises au titre du plan de formation ?
La loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale modifie les obligations des entreprises pour la collecte 2016 (salaires 2015) en reprenant les dispositions de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 13 décembre 2013 relatif à la formation professionnelle. Cette évolution concerne la collecte 2016 (salaires versés en 2015).
Les obligations des entreprises varient toujours selon leur effectif.
Pour les entreprises de moins de 10 salariés, la contribution au titre du plan de formation est restée fixée à 0,40 % de la masse salariale (sur une contribution totale maintenue à 0,55% de cette masse).
Pour les entreprises de 10 salariés et plus, la contribution au titre du plan de formation était, jusqu’à la collecte 2015, de 0,9 % de la masse salariale (sur une contribution totale de 1,05 % pour celles de 11 à moins de 20 salariés et de 1,6 % au-delà).
Le décret du 24 octobre 2014 relatif aux organismes paritaires collecteurs agréés a confirmé la répartition prévue par l’ANI. La nouvelle obligation légale est de 0,2 % pour les entreprises de 10 à 49 salariés et de 0,1 % pour celles de 50 à 299 salariés. Les entreprises de 300 salariés et plus cessent d’être soumises à une obligation légale au titre du plan de formation.
Quelles sont les conséquences de cette réforme sur les montants collectés dans le cadre de l’obligation légale au titre du plan de formation ?
La Cour des comptes, dans un référé du 8 septembre 2014 portant sur la « mutualisation des fonds collectés par les OPCA pour le financement des plans de formation des entreprises » évoque les conséquences de cette loi du 5 mars 2014.
Elle reprend une analyse de la DARES qui fait état d’une diminution prévisionnelle importante des montants théoriques collectés au titre du plan de formation. Dans le cadre de la nouvelle obligation légale, ces montants (nets de la contribution au Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels : FPSPP) se trouveraient en effet ramenés de 3 751 à 585 millions d’euros, soit une diminution de 84 %.
Elle précise que la baisse considérable apparaissant dans cette simulation « amène à se demander si le nouveau système de financement sera en mesure de maintenir un niveau minimal de mutualisation au bénéfice des TPE-PME ».
Elle reste également circonspecte sur le mécanisme de solidarité financière confié par la loi au FPSPP, qui serait en baisse.
Certaines organisations sont critiques au regard de cet abandon du principe « former » ou payer ». Cependant les entreprises sont, en moyenne, au-delà de l’obligation légale ?
En raisonnant sur une moyenne, on oublie que la majorité des entreprises (57 % selon une étude parue dans Dares Analyses n° 007 de janvier 2014), s’en tiennent strictement à cette obligation légale, sans que cela signifie qu’elles ne forment pas leurs salariés.
De plus, cette proportion d’entreprises au seuil est fortement décroissante : 70 % pour celles de 10 à 19 salariés, 40 % pour celles de 50 à 199 salariés, mais seulement 10 % pour celles employant plus de 500 salariés.
Cette étude souligne également que les entreprises sont très majoritairement au seuil dans les secteurs à main d’oeuvre peu qualifiée, avec un accès à la formation environ deux fois moins fréquent, quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle.
La plupart d’entre elles (94 %) versent leur contribution à leur OPCA.
Deux situations sont actuellement possibles :
- soit elles utilisent en totalité leur contribution pour former leurs salariés ;
- soit elles ne l’utilisent que partiellement, voire pas du tout, et ces fonds mutualisés profitent aux salariés d’autres entreprises adhérentes.
L’obligation légale de « former » ou « payer » constitue ainsi une incitation pour les entreprises à former leurs salariés. A défaut, elle permet à d’autres PME de disposer de fonds plus importants, supérieurs à leur contribution, leur permettant de former davantage.
L’étude de la Dares met en évidence ce processus de gain pour les PME formatrices, à travers une mutualisation entre entreprises d’une même classe d’effectifs. Ce « taux de subvention » par la mutualisation est ainsi de 28,3 % pour les entreprises de 10 à 19 salariés, 13,5 % pour celles de 20 à 49 salariés, 7,5 % pour celles de 50 à 199 salariés, 5,9 % pour celles de 200 à 499 et 0,7 % au-delà.
Par ailleurs, l’absence d’obligation au titre du plan de formation des entreprises de 300 salariés et plus ne permettra pas de mutualisation « légale » en direction des PME. La redistribution des contributions des grandes entreprises vers les PME est, cependant, déjà limitée pour le plan de formation, comme le confirme également cette étude.
Quels sont les risques associés à cette réforme ?
Les entreprises de moins de 10 salariés et les grandes entreprises ne devraient pas modifier leur comportement.
Les risques concernent les PME de 10 à 300 salariés et diffèrent selon leur situation au regard de leur pratique actuelle de formation.
Les entreprises qui ne forment pas leurs salariés dans le cadre de l’obligation légale de 0,9 % de leur masse salariale continueront à ne pas les former. Simplement, l’incitation à modifier ce comportement disparaîtra en raison de la forte baisse de cette obligation.
La diminution de l’obligation légale pourrait inciter les entreprises qui formaient à sa hauteur à réduire le montant du plan de formation en faveur de leurs salariés, dans un contexte économique difficile pour beaucoup de PME.
Les entreprises formatrices, qui bénéficiaient de « gains » permettant de former davantage leurs salariés, perdront l’avantage de ce « bonus » et pourraient renoncer à certaines formations.
En d’autres termes, en l’absence d’obligation conventionnelle, la quasi disparition de l’obligation légale relative au plan de formation pourrait s’effectuer au détriment des PME formatrices et de leurs salariés.
Mais les entreprises ont, en tout état de cause, l’obligation de former leurs salariés ?
1. La loi du 5 mars 2014 conforte, en effet, cette obligation des entreprises, inscrite dans le code du travail, de former leurs salariés afin de les adapter au poste de travail.
On lit, dans le rapport de présentation de cette loi à l’Assemblée nationale, afin de justifier l’absence de nécessité d’une obligation légale, que « la participation de l’employeur se fonde également sur la relation de travail de travail elle-même, dans le cadre de la loyauté des obligations contractuelles : l’employeur doit assurer au salarié les conditions du maintien dans l’emploi en fonction des moyens dont il dispose, parmi lesquels figure le financement d’actions de formation ».
Cependant, avec cette baisse de l’obligation légale, les PME peuvent ne pas disposer des fonds suffisants pour financer ces actions de formations sans abondement complémentaire par des fonds mutualisés ou même prendre le risque juridique de ne pas former leurs salariés selon une logique de gain de trésorerie à court terme.
2. Selon une édition du baromètre trimestriel de KPMG et de la CGPME sur l’accès au financement et au crédit, 32 % des 400 dirigeants d’entreprises de 10 à 500 salariés (interrogés ente le 8 et le 16 janvier 2014) déclarent qu’ils reverront leurs projets de formation à la baisse suite à l’ANI, 58 % ne les modifieront pas et seulement 5 % les augmenteront.
3. Les résultats du baromètre 2016 sur l’emploi et la formation dans les TPE-PME apparaissent plus favorables.
Selon cette enquête, menée conjointement par AGEFOS PME et l’institut Ipsos auprès des entreprises de 1 à 499, 2 PME sur 3 font le pari du maintien de leur investissement formation en 2016. Plus précisément :
- 68 % des dirigeants de PME estiment que la réforme n’aura pas d’impact sur leur investissement formation ;
- 17 % pensent le réduire ;
- 12 % pensent l’augmenter ;
- 3 % ne se prononcent pas.
Pourtant la majorité des partenaires sociaux ainsi que les pouvoirs publics saluent cette reforme comme une avancée ?
1. Certains partenaires sociaux se positionnent également par rapport à d’autres dispositifs comme le compte personnel de formation (CPF) dans le cadre d’une négociation globale.
Par ailleurs les organisations ne sont pas toutes signataires de l’ANI du 14 décembre relatif à la formation professionnelle.
2. Les pouvoirs publics reprennent, logiquement, la position exprimée par la majorité des partenaires sociaux.
Par ailleurs, le rapport de présentation de cette loi à l’Assemblée nationale précisait bien que « l’obligation d’achat direct de formation par l’employeur ne répond pas aux besoins de renforcement du financement des publics qui en ont le plus besoin et qui ne sauraient être définis spontanément par l’entreprise dans le cadre du plan de formation ».
En d’autres termes, un peu schématiquement, l’obligation légale de financement doit être ciblée sur certains publics, demandeurs d’emploi, jeunes ou personnes en difficultés. Il appartient aux entreprises d’assumer la responsabilité de la formation de leurs salariés, y compris en termes de financement sur leurs ressources propres.
Comme l’avait alors précisé le Ministre du travail : « Une obligation administrative n’est pas nécessaire. Chacun est face à ses choix ».
Se trouve-t-on dans une logique du « chacun pour soi » ? Les obligations conventionnelles peuvent-elles éviter ces risques ?
En l’absence d’obligation légale, la possibilité d’échapper à cette logique du « chacun pour soi » dépendra notamment des obligations conventionnelles des entreprises, qui sont déjà et seront négociées entre les organisations d’employeurs et de salariés au sein des branches professionnelles.
La loi du 5 mars 2014 prévoit ces possibilités déjà mises en œuvre par les partenaires sociaux dans certains secteurs.
On peut souhaiter qu’une bonne régulation au sein des branches permette de réintroduire des obligations de versement conventionnelles, associées à une mutualisation au bénéfice des PME, qui remplaceront efficacement l’obligation légale.
En revanche, on peut rester moins optimiste sur les effets de cette réforme pour la formation des salariés des PME en l’absence de ces obligations conventionnelles.
A titre d’exemple positif, un accord entre les organisations constitutives de l’AGEFOS PME vise à créer un fonds spécifique de mutualisation, qui fonctionnera « dans le cadre de la fongibilité asymétrique descendante », afin « de maintenir et même de développer les actions de formation réalisées dans le cadre du plan de formation au profit des salariés des entreprises de 10 à moins de 300 salariés ».
Autre illustration, dans le secteur des agences de publicité et des régies publicitaires, un accord de branche sur l’emploi et la formation professionnelle du 11 février 2015 prévoit une contribution conventionnelle supplémentaire (s’ajoutant à l’obligation légale) de 0,3 % pour les entreprises de moins de 10 salariés (0,20 % au titre du plan de formation et 0,10 % du CPF), de 0,20 % pour celles de 10 à 49 salariés (plan de formation) et de 0,30 % pour celles de 50 salariés et plus (plan de formation).
La réduction de l’obligation légale accroît cependant la liberté de choix par les entreprises de leurs investissements en formation, ce qui semble positif ?
En réduisant l’obligation légale pour une grande partie des entreprises et en les affranchissant de la question de l’imputabilité des actions, la réforme leur ouvre, en effet, de nouvelles perspectives. Elles peuvent notamment financer des actions qui n’étaient pas précédemment imputables et choisir des investissements en formation plus variés.
Le rôle du responsable formation s’en trouve modifié et renforcé, dans une perspective de maintien et de développement des compétences et de l’employabilité des salariés.